
L’écrivaine d’origine franco-britannique Cécile Oumhani a été en Tunisie pour la présentation de son roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles » paru aux éditions Elyzad. En lice pour de nombreux prix littéraires à l’étranger, ce livre évoque la condition tragique des rescapés de la guerre d’Afghanistan et un parcours de vie entre l’Inde, l’Afghanistan et l’Allemagne.
À travers cet entretien, elle nous dévoile des détails captivants sur son roman et de sa vocation.
La Presse — Vous avez publié récemment en Inde un livre intitulé « Likebirds in the sky ». On sait que votre mère est née là-bas. L’Inde est également au centre du roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles ». Nous avons l’impression que vous poursuivez une méditation sur les traces du passé. Est-ce qu’il y a une part de vous-mêmes, de vos propres souvenirs dans ce roman ?
Il y a toujours une résonance avec moi-même dans ce que j’écris. Ça ne veut pas dire que j’ai vécu tous ce qui est évoqué dans mes livres, mais il y a des éléments qui me hantent, qui ont un tel écho en moi que je ne cesse d’y penser. Pour moi, un livre mène à un autre, comme pour la période où mes écrits avaient un lien fort avec la Tunisie. Cette fois, ce sont les traces de ma mère qui m’ont interpelée. Ce n’est pas un choix conscient, comme dans un essai. Je tire le fil et je vais là où il me conduit.
Est-ce qu’il y a un évènement particulier ou une rencontre qui vous a inspiré les personnages de la narratrice et de Meena ?
J’ai rencontré une femme afghane à l’aéroport du Bahreïn. J’ai raté une correspondance, tout comme la narratrice, et je venais de perdre mon père. Je me suis retrouvée face à cette dame voilée qui m’a demandé de s’asseoir à ma table. À partir de ce moment, la ressemblance s’arrête. Tout ce qu’elle m’a raconté, je ne suis pas autorisée à l’utiliser dans un roman.
Votre roman « Le café d’Yllka » évoque une rencontre dans un aéroport avec une victime de la guerre de Sarajevo. Dans « Les tigres ne mangent pas les étoiles », la narratrice croise une Afghane dans un aéroport et transmet son destin tragique. Est-ce que c’est la continuité d’une ligne directrice pré-établie pour raconter des guerres à travers un regard féminin ?
Pour « Le café d’Yllka », c’était une femme croisée à Budapest et j’ai inventé les traits du personnage. C’est après avoir écrit « Les tigres ne mangent pas les étoiles » que je me suis aperçue qu’il commence comme l’autre roman. Actuellement, je pense que j’ai un travail littéraire à faire en rapport avec l’Inde.
Il y a beaucoup de détails sur la vie, les paysages et la littérature en Afghanistan dans ce roman. Ces informations émanent-elles de vos connaissances générales ou s’agit-il d’un travail de recherche fait spécialement pour l’écriture du livre ?
Il y a à la fois l’imaginaire et la documentation. L’écriture est pour moi une expérience humaine qui porte sur mes rencontres, mes rêves, tout ce que je vois autour de moi.
Il y a de nombreux vers traduits qui ponctuent votre roman.
Quels effets cherchez-vous à apporter à votre texte en mêlant les extraits de poèmes au récit ?
En janvier 2023, les Talibans ont interdit l’écriture de la poésie. La poétesse afghane Somaia Ramish a lancé un appel à des dizaines de poètes du monde entier pour une anthologie parue en français. J’étais surprise de leur réactivité, de cette solidarité entre poètes de beaucoup de pays et de langues différentes. Il y a même une traduction japonaise. Il y a des interstices entre les langues. La poésie ne résoudra pas seule les problèmes du monde. Mais, elle nous redonne de l’espoir.
Est-ce qu’on peut établir un rapport entre les thèmes de la guerre et de l’exode dans ce roman et l’actualité mondiale ?
Quand j’ai commencé l’écriture du roman, je n’étais pas dans un projet conscient de dénoncer quelque chose. Je voulais montrer que la terre est traversée par les mêmes problématiques qui se définissent différemment selon les époques. On a l’impression qu’on n’avance pas. On ne peut pas empêcher les évènements de se reproduire. Situer le parcours des personnages sur plusieurs endroits permet de résonner ce qu’on voudrait nous faire oublier, tout ce que l’humanité a en commun. La mémoire, c’est important. Garder la mémoire de l’Histoire, c’est développer la conscience de chacun.
Quelles idées ou quelles images souhaitez-vous que le lecteur retienne des années après la lecture de ce roman ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question car le livre appartient à celui qui le lit. Je suis convaincue que le lecteur réécrit le texte à sa façon. Il le ressent et raisonne en fonction de son chemin à lui, de ce qu’il a vécu. Il lui donne un sens en fonction de ses références personnelles.